L’Indochine

Les évènements en Extrême Orient

 

 

Petit cours d’histoire

Comme d’autres pays, la France songea au début du XIXème siècle à fonder des comptoirs commerciaux en Extrême Orient. Les premières facilités furent accordées en Chine par la convention de Whan Poa signée en 1844 (ouverture de 5 ports de commerce français). Cette convention reconnaissait en outre à la France  le droit de protéger les missions catholiques qui existaient en Chine depuis plus de deux siècles.

Désireux de se ménager l’appui du parti catholique français, Napoléon III entreprit par la suite en Indochine une action parallèle à celle qui avait été conduite en Chine, c'est-à-dire essayer d’obtenir l’ouverture de ports, l’installation de consuls et assurer la défense du clergé catholique.

C’est ainsi qu’en 1858 à la suite du martyre d’un missionnaire français au Kouang-Tcheou-Wan et de dominicains espagnols au Tonkin, une action militaire fut menée pour rappeler à l’ordre l’empereur de Chine.

Nous ne rentrerons pas dans le détail des diverses autres opérations qui furent conduites ensuite par les amiraux RIGAULT de GENOUILLY, CHARNER, LA GRANDIÈRE ou COURBET, mais retenons seulement qu’en 1862,  la Cochinchine orientale est cédée à la France par l’empereur Tu Duc et que le traité de Tien tsin du 9 juin 1885 reconnaissait définitivement le protectorat sur l’Annam et le Tonkin.

L’union indochinoise fut constituée en 1887 par le rattachement au ministère de la Marine et des colonies, de ces 2 pays furent placés avec la Cochinchine et le Cambodge sous l’autorité d’un gouverneur général. Le royaume du Laos y sera rattaché en 1893 et le Kouang-Tcheou-Wan de 1898 à 1943.

Ce que l’on a appelé l’Indochine était en fait un groupement de 3 protectorats (Annam, Tonkin et Cambodge) et d’une colonie (la Cochinchine).

Revenons maintenant en Chine.

Entre 1931 et 1935, les Japonais s’infiltrent progressivement dans la partie nord de ce pays et s’emparent de la Mandchourie.

C'est en 1937 qu'éclate le conflit. Le 7 juillet, les Japonais attaquent les forces chinoises à 15 km de Pékin et s’emparent de la ville le 29. L’offensive terrestre se poursuit alors vers le Sud et en novembre, les forces nippones occupent Shanghai.

Mais conscients que leur effort militaire sera vain tant que la Chine recevra de l’extérieur les produits nécessaires à les contrer dans cette guerre, les Japonais s’attachent à isoler économiquement son gouvernement.

Les voies de pénétration  aboutissant au Yunnan, notamment la ligne de chemin de fer Haïphong-Langson, incitent le Japon à exercer une politique de pression diplomatique et d’intimidation à l’égard de la France, afin que cette dernière interdise tout passage à travers le Tonkin de matériels de guerre destiné à la Chine.

Jusqu’en 1940, la politique de pression et d’intimidation pratiquée par le japon ne donne que des résultats  limités, car la France est alors puissante et son armée est respectée. La défaite de notre pays en  juin 1940, constitue alors pour le Japon une occasion de s’installer progressivement dans toute l’Indochine.

En juin 1940, l’armée japonaise se trouve engagée dans la conquête du Yunnan et du Kouang-si, en Chine. Débarquée depuis novembre 1939 à Pakhoï, elle occupe Nanning et progresse vers l’Ouest en longeant le tracé de la frontière du Tonkin. Le Général CATROUX (gouverneur général de l’Indochine), remplacé à compter du 20 juillet 1940 par l’Amiral DECOUX, essaient de maintenir une attitude énergique vis-à-vis de tout empiètement japonais.

Malgré des négociations engagées, les Japonais lancent une attaque sur nos positions dans la région de Langson et après des combats acharnés, tous les postes français de la région sont submergés le 25 septembre avec des pertes importantes de part et d’autre.

Devant les protestations énergiques adressées par le gouvernement de Vichy, le « Mikado » rejette la responsabilité de cette action sur l’insubordination de son armée de Canton. Les combats sont alors arrêtés, les prisonniers rendus, et les positions conquises rétrocédées.

Entre temps, l’attitude de la Thaïlande (ou Siam) est devenue inquiétante. Le 20 octobre le premier ministre PIBUL, rappelle les réservistes et concentre ses troupes sur la façade Cambodge-Laos, en réclamant des territoires faisant partie de ces 2 pays. Tout au long de la frontière, les incidents se multiplient, la guérilla se développe et l’aviation siamoise effectue de nombreux bombardements sur nos frontières terrestres.

D’importantes infiltrations siamoises sont observées début janvier 1941 à la frontière cambodgienne. Pour les refouler une action terrestre est menée par le général commandant supérieur en Indochine. En même temps la Marine de son côté monte une opération navale avec les moyens dont elle dispose en Indochine : un groupe composé du Croiseur LAMOTTE-PICQUET, des Avisos AMIRAL CHARNER, DUMONT D’URVILLE, TAHURE et MARNE, reconnaît (grâce à 2 appareils de la section d’hydravions de la Marine), surprend, attaque et détruit le 17 janvier 1941, dans l’île de Koh Chang, le tiers de la flotte thaïlandaise (soit 4 bâtiments).

Jusqu’en mi 1941, aucun incident sérieux ne survient entre la France et le Japon. Mais le 14 juillet, l’ambassadeur du Japon à Vichy, remet au gouvernement français, une proposition de coopération japonaise pour la défense de l’Indochine. Ce mémorandum japonais invoque les nécessités de sa sécurité nationale et la défense de sa position en Asie, principalement contre la menace des forces britanniques en Birmanie. C’est ainsi que Tokyo fait savoir qu’il a l’intention d’envoyer sans aucune limitation, des troupes, des unités navales et des formations aériennes en Indochine et d’y utiliser des bases aériennes et navales. Le gouvernement de Vichy soucieux d’éviter de la part des Anglo-Saxons des mesures de représailles contre les possessions situées en Amérique (Martinique et Guadeloupe), cherche à obtenir des délais. Une réponse d’attente est remise le 19 juillet à l’ambassadeur du Japon, mais le lendemain, ce dernier fait savoir que quelle que soit la décision des autorités françaises, le gouvernement japonais est déterminé à mettre ses projets à exécution. Placé devant cet ultimatum, le gouvernement de Vichy, sachant qu’il ne peut compter sur aucun appui matériel du dehors, cède alors aux demandes japonaises. L’accord signé le 29 juillet, prévoit : l’envoi en Indochine de troupes nippones, et d’unités navales et aériennes jugées nécessaires et ceci sans limitation – l’utilisation de 8 bases aériennes et 2 bases navales (Cam-Ranh et Saïgon) – la facilité de stationner et de circuler pour toutes les troupes japonaises.

Le principe de la « défense commune de l’Indochine » contre une agression extérieure était dès lors admis… Le gouvernement français précisait cependant qu’il entendait ne participer qu’à des actions purement défensives et aucune précision n’était donnée sur le genre de coopération militaire. Il est toutefois bon de signaler que ce principe de « défense commune » n’intervint jamais, aucune opération n’ayant été montée ou projetée entre les 2 commandements militaires jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale.

Par la suite les relations entre les forces françaises et japonaises en Indochine  subirent de nombreuses fluctuations, mais dans l’ensemble, il n’y eut pas de heurts spectaculaires jusqu’en mars 1945.

Le 9 mars 1945 l’ambassadeur du Japon en Indochine, fut reçu par l’Amiral DECOUX, gouverneur général, auquel il adressa un ultimatum exigeant que les armées et la police françaises soient placées sous le commandement de l’armée japonaise. Devant le refus de l’amiral, ce dernier fut arrêté en compagnie des grands chefs militaires français et les forces nippones envahirent alors les établissements militaires français et s’attaquèrent à toutes les forces armées. Les forces françaises, après avoir sabordé leurs installations, ne purent opposer de résistance majeure en Cochinchine, Cambodge et Annam.  Par contre, les troupes du Tonkin et du Laos, réussirent à tenir plus de deux mois contre un adversaire très supérieur en nombre et en armement. Cinq mille hommes dont deux mille Européens parvinrent à gagner la Chine, où sous le commandement des Généraux ALESSANDRI et SABATIER, ils se réorganisèrent pour reprendre la lutte.

Les Français étant pour le moment réduits au silence, un parti politique d’obédience communiste, le « Vietminh » adopta alors une attitude maquisarde vis-à-vis des Japonais en effectuant quelques petits coups de mains qui amenèrent les services de renseignements américains à aider celui-ci en lui faisant parvenir des aides matérielles.. De leur côté, les Japonais pour remplacer les autorités civiles françaises emprisonnées depuis le 9 mars 1945, favorisèrent tout de suite l’installation d’un gouvernement indochinois indépendant. C’est ainsi que l’empereur  Bao Daï put proclamer l’indépendance de son pays (l’Annam) dès le 11 mars.  Un nouveau gouvernement fut alors constitué, cependant que l’empire prit le nom de Viet-Nam. Dans les mois qui suivirent, tout ce qui pouvait rappeler l’autorité française fut éliminé. Mais ce gouvernement du Viet-Nam ne réussit pas à s’imposer et dût démissionner le 7 août, cependant que le Vietminh, jouant de sa qualité de résistant à tous les occupants, prit de plus en plus d’influence….

La conférence des Alliés à Postdam fin juillet 1945, avait décidé que l’Indochine était, du point de vue opérationnel, divisée par le 16° parallèle, la zone sud faisant partie du théâtre du Sud-est asiatique (Amiral Mountbatten) et la zone nord du théâtre Chinois.  Il était prévu que dès la capitulation du Japon, les commandants de ces théâtres devaient recevoir la reddition des japonais dans les zones correspondantes.

C’est ce qui fut réalisé en août 1945.

Après la capitulation nippone, la confusion se mit à régner en Indochine : il n’y eut plus de gouvernement et les sections d’assaut du Vietminh en profitèrent pour prendre possession de tous les services publics et multiplièrent les manifestations anti- françaises. 

Ce n’est qu’à partir du 5 octobre que les premiers éléments du corps expéditionnaire français arrivèrent au secours de l’Indochine. Mais ceci est une autre histoire, et cette histoire dont nous parlerons dans un autre volet, se poursuivra durant une dizaine d’années…

 

La Marine nationale en Extrême-Orient

Lors de la déclaration de guerre en 1939, l’Amiral commandant les forces navales en Extrême-Orient, avait autorité sur les forces suivantes réparties soit en Chine soit en Indochine :

    - Croiseurs : LAMOTTE-PICQUET et SUFFREN
    - Avisos coloniaux : RIGAULT DE GENOUILLY, AMIRAL CHARNER et SAVORGNAN DE BRAZZA
    - Avisos : TAHURE et MARNE
    - Canonnières de Chine : FRANCIS GARNIER, DOUDART DE LAGRÉE, BALNY et ARGUS
    - Canonnières fluviales de Cochinchine : AVALANCHE, COMMANDANT BOURDAIS, VIGILANTE, MYTHO et TOURANE
    - Bâtiments hydrographes : LA PÉROUSE, OCTANT et ASTROLABE

     

Origine Marie-Paule TESTOR

Des modifications interviennent par la suite :

    - Le DOUDART DE LAGRÉE est désarmé à Shangaï  le 19 décembre 1939
    - Le RIGAULT DE GENOUILLY quitte Saïgon le 12 octobre 1939, et part pour l’océan Indien
    - Le SAVORGNAN DE BRAZZA rentre en France le 19 décembre 1939
    - Le SUFFREN est affecté en Méditerranée en mai 1940
    - L’Aviso DUMONT D’URVILLE est affecté en Indochine d’octobre 1940 à mai 1941
    - Le BALNY est désarmé en Chine en août 1940
    - L’ARGUS est condamné en 1941

Voici le détail en 1941 de nos bâtiments stationnés en Indochine :

    - Croiseur LAMOTTE-PICQUET
    - Avisos : AMIRAL CHARNER, MARNE et TAHURE
    - Canonnières : FRANCIS GARNIER, COMMANDANT BOURDAIS, AVALANCHE, VIGILANTE, MYTHO et TOURANE
    - Bâtiments hydrographes : ASTROLABE,  LAPÉROUSE et OCTANT

 

  

  

  

La période s’étendant de décembre 1941 à mai 1943, est marquée par l’avance spectaculaire des japonais dans le Pacifique et le Sud-est asiatique.

L’Indochine, isolée du reste du monde, se replie complètement sur elle-même.

Le travail de la Marine reste l’escorte des bâtiments marchands entre la Cochinchine et le Tonkin, car le danger sous-marin américain est présent, tandis qu’un danger aérien important fait son apparition en fin d’année 1942 (Mise en place en Chine du groupement aérien « American Volonteer Group » du

Commandant CHENNAULT, composé de volontaires américains aidés par des Chinois et armant des appareils américains).

Entre mai 1943 et mars 1945, les attaques aériennes de la 14ème Air Force du Général CHENNAULT se font de plus en plus fréquentes et sévères sur le Tonkin et le Nord Annam, tandis que les sous-marins américains lancent contre le trafic japonais ou Indochinois des attaques efficaces et de plus en plus nombreuses. C’est dans ce contexte que l’Aviso TAHURE est coulé corps et biens dans la nuit du 29 au 30 avril 1944, torpillé par le sous-marin U.S FLASHER.

L’ASTROLABE est coulé par bombardement américain le 26 février 1944 à Tourane.

Le 12 janvier 1945 au moment de la bataille de Luçon, le « Task group » n° 38 comportant une douzaine de porte-avions américains, effectue un raid en mer de Chine dans le but de détruire les forces navales, bases aériennes et navales japonaises.  Huit cent cinquante avions balaient ce jour là les 800 km de côte entre Tourane et Saïgon au cours de 1465 sorties. A Camranh la base est bombardée, les installations des marins français assurant la défense sont aux trois quart détruites. Au voisinage de Saïgon, le croiseur LAMOTTE-PICQUET (en réserve depuis le 1er janvier 1944) et le bâtiment hydrographe OCTANT, sont coulés.

A la suite du coup de force Japonais du 9 mars 1945, les unités de la Marine en Indochine sont détruites ou dissoutes (sabordage des navires, casernements occupés par les japonais).

    - Aviso colonial AMIRAL CHARNER : Bombardé par l’aviation japonaise, puis sabordé à Mytho par son équipage
    - Aviso MARNE : Sabordé dans la rivière de Cantho
    - Canonnière FRANCIS GARNIER : sabordée à Kratié
    - Hydrographe LAPÉROUSE : sabordé à Cantho
    - Canonnière AVALANCHE : sabordée à Mytho
    - Canonnière MYTHO : incendiée à Mytho
    - Canonnière TOURANE : échouée et sabotée dans le Donnaï à l’embouchure du Song-Be

Tous les casernements de la Marine (Cap Saint Jacques, Dalat, Thu-Duc, Thanh-Tuy-Ha,  Camranh etc…) sont alors occupés par l’armée japonaise et la plupart des marins français emprisonnés. Cette situation durera jusqu’en août 1945…

 

La SHM (section hydravions marine en Indochine)

Le 15 septembre 1940, une section d’hydravions est créée à Cat-Laï (terrain que la Marine avait rétrocédé à l’Armée de l’Air en 1933).  Commandée par le LV Jean GAXOTTE, cette section est dotée des 8 appareils suivants :

 

    - 2 Loire 130 (1 du Croiseur SUFFREN et 1 du Commandant de la Marine en Indochine)
    - 3 Potez 452 (2 du Croiseur LAMOTTE-PICQUET, et 1 des Constructions navales)
    -

3 Gourdou-Leseure 832 (1 de l’Aviso DUMONT D’URVILLE, 1 de l’Aviso AMIRAL CHARNER, et 1 des constructions navales)

         

      

Avec l'aimable autorisation de Mme Marie-Paule TESTOR,

fille du Maître Pilote TESTOR

A partir du 5 novembre, comme il est devenu nécessaire de surveiller d’une façon continue le golfe du Siam et d’être renseigné sur les agissements ennemis dans ce golfe, une surveillance est assurée par 2 hydravions de la section, basés à Ream.  Entre novembre 1940 et janvier 1941, ces 2 appareils effectueront près de 80 missions de surveillance durant plus de 200 heures de vol.

La section toujours stationnée à Cat-Laï  effectuera, durant le mois de mars au large du Cap Saint Jacques, 9 missions de reconnaissance aérienne afin de surveiller les forces japonaises stationnant au large de la Cochinchine.

La base aérienne de Cat-Laï* est saisie par les Japonais en fin décembre 1941. Suite à l’interdiction de vol prononcée pour tous les appareils français situés dans le Sud de l’Indochine, la section est désarmée le 31 décembre et ses appareils sont convoyés à Bien Hoa (environs de Saïgon).

*A propos de la base de Cat-Laï, notons que cette dernière retournera dans le giron de la Marine en novembre 1945, lors de la naissance de l’escadrille 8S.

En août 1943, du fait de la création d’un commandement de la Marine à Tourane, la section est réarmée en ce lieu et se trouve toujours sous le commandement du LV GAXOTTE. Elle assure alors la surveillance maritime et la protection de la navigation commerciale entre Tourane et Qui-Nhon. (Un petit bâtiment, le PICANON lui est affecté comme dépanneur).

En mai 1944, elle se replie à nouveau sur le terrain de Bien-Hoa où elle continue de végéter et où le LV Adrien JARSAILLON succède à GAXOTTE en septembre. Le nouveau chef de la section décède le 2 février 1945 lors d’un accident aérien, et il remplacé par le LV Roger PLAINEMAISON.

La section comme de bien entendu est dissoute le 9 mars 1945, et certains de ses hydravions sont récupérés par les Japonais.