LES KERGUELEN  Cap au Sud

AE Cdt Bourdais 1978 Campagne Océan indien

 

 

Depuis un bout de temps, j' attends avec impatience cette escale mythique...

Cet endroit de la planète où peu de gens ont eu la chance d'aller.

J'ai hâte de quitter La Réunion, pourtant la vie y est douce avec le rougail, le cari poulet, le séga et surtout les doudous qui sont loin d'être farouches avec les zoreilles...

Poste de manoeuvre général !

18 avril, le jour tant attendu arrive et de toute façon, je suis toujours content de reprendre la mer

La routine des jours en mer reprend ses droits... Au CO, on s'emmerde un peu : dans ce coin de la planète, la veille surface est... disons... tranquille. Un écho radar est un véritable évènement...

La mer est de plus en plus grosse et tout valdingue de tous les cotés

Attention, on va rouler !

Ça commence à cailler de plus en plus, on marche sur les cloisons et le raffiot craque de toutes parts. On se rapproche du 40ème parallèle - les fameux 40èmes rugissants - il y a des creux de 15 à 20 mètres, quand le bateau remonte, tu ne peux pas décoller un pied du sol... t'es obligé d' attendre que le bateau redescende pour enfiler ton pantalon ou pour monter l'échelle de poste... là, t'as l' impression de décoller et de flotter quelques instants...

45° à l' indicateur de gite, les mouvements du bateau sont violents avec le roulis et le tangage simultanés et il est difficile de dormir et de manger... la caf est dans un état !!...heureusement, il n' y a pas grand monde, ça me permet d'avoir triple rations. Aux poulaines, tu retrouves des "cadavres" qui valdinguent d' un bord à l' autre dans leur vomi...(bon, je sais... mais c' est véridique)

Situation d' étanchéité n° 0 !

A chaque fois que le bateau plonge dans la plume, la plage avant disparaît et des paquets de mer montent jusqu' à la passerelle... c'est beau ! c'est grand !...je prends mon pied...

Le 25 avril arrivée en vue des Kerguelen après 7 jours de mer et on continue avec des patrouilles autour de l'archipel. Les "chalutiers" russes que je voyais sur mon scope ont tous quitté les eaux territoriales et attendent un peu plus loin...

Patrouilles, recherche de points de mouillage, on passe les 50èmes hurlants.

Baie du Morbihan, pointe Molloy, baie des Baleiniers, baie du Hope Full, Port Marie, baie de l' oiseau, anse de la Table...

Le 30 avril, j'ai la chance de faire partie des permissionnaires pour descendre à terre à Port aux français. Un petit remorqueur appelé "Gros Ventre" vient nous chercher et comme on y voit pas à 2 mètres à cause de la purée de pois, nous le guidons au radar et à la cloche...

Nous sommes invités par la station météo et les 2 ou 3 Légionnaires présents là-bas pour fêter Camerone.

L'apéro coule à flots et le banquet est grandiose... L'après midi, ballade et jeux avec les éléphants de mer et les pingouins...

En fin d'après-midi, le "Gros Ventre ne peut pas nous ramener à bord, la mer est trop mauvaise et même le Bourdais est obligé d'aller chercher un point de mouillage plus clément. nous allons donc passer la nuit à Port aux français et tirer une piste inoubliable... Je crois bien qu'on a liquidé leur provision de bibine de l'année... quelle bordée !

Le lendemain on réintègre le bord avec plein de souvenirs et aussi plein de brume dans la tête...

On continue nos patrouilles autour des Kerguelen jusqu' au 3 mai et après cap sur La Réunion où nous arrivons le 10 mai : hirsutes et cradingues comme des peignes, l'eau douce étant réservée à la cuisine, la toilette était sommaire...

Plus de 3 semaines de mer de folie...

Une terre sauvage au bout du monde...

Une bordée phénoménale...

Voilà pourquoi cette escale aux Kerguelen restera inoubliable et un des plus grands souvenirs de ma vie... En plus, je sais que je n' y retournerai plus jamais.

 
Eric LAFAYE dit Ricou