« L’artillerie est la raison d’être d’un bâtiment au combat »

 

 

En ce jour de Décembre 1964 quand j’embarquais sur le TARTU frais émoulu de l’école de canonnage, mon expérience de l’artillerie était pour le moins succincte, quelques sorties sur le BRESTOIS et le D’ESTREES affectés à l’école de canonnage et à l’EATM (Ecole d’application de tir à la mer) ne me laissaient pas augurer, des riches heures de ma spécialité qu’il m’allait être donner de vivre !!!

 

Surtout que ces sorties s’effectuaient sous la houlette tonitruante, de notre adjudant dans le rôle du CDA (Chef de la défense antiaérienne), le célèbre Baptiste, ci-devant MP Bonnet, figure de la spécialité, et qui, je pense, a marqué à jamais tous les tremblants apprentis de l’époque. Qui ne se souviens du moment de panique interne qui nous saisissait au moment de notre premier tir, à partir du PO avant du Brestois, le casque sur la tête avec en dessous le TAG (téléphone auto générateur). Bien évidemment ce foutu casque partait d’un côté, le téléphone de l’autre, il fallait en plus causer dans le poste… se faire engueuler par Baptiste, reconnaître le but, (généralement un TBM ou un SO 30P remorquant une manche, piloté par un pilote suicidaire à mon avis, je me demande toujours si ce n’étaient pas les pingouins punis qui se retrouvaient en cette fâcheuse posture…), se pointer sur la manche, et, oh moment intense ! Appuyer sur la poignée de mise de feu, ce qui déclenchait le hurlement rageur de l’affût 1 de 57 qui crachait sa bordée à 120 coups minutes, la bouche des pièces se trouvant aux environs d’un mètre. La première fois … surprise rare ! et surdité de 48 h, mais bizarrement on entendait encore Baptiste commentant la qualité du tir, nous promettant de finir notre carrière dans un radeau, en cas de guerre, et encore ; je ne suis pas sûr qu’il ne nous promettait pas le conseil de guerre dans une telle éventualité !!!

 

Mes premiers pas dans la spécialité furent tout aussi surprenant, c’était donc un samedi matin, A l’époque le week-end commençait le samedi midi, et la matinée était en grande partie consacré au poste de lavage approfondi !!!

 

Accueilli par le PM P….. , adjudant, qui avait la particularité de ne pas étaler à la mer… (la vue de la feuille de service la veille d’un appareillage le rendait déjà vert !!!) J’eus en une matinée, la bonne nouvelle de savoir que j’étais affecté au 127, plus précisément à l’équipe Tourelles, laquelle se constituait en tout et pour tout, d’un SM1, d’un QM1, d’un QM 2 et … de moi ! d être nanti d’une bannette au poste 6, d’une clef triangulaire et d’une clé carrée, instruments quasi indispensables à l’exercice du métier et symbole de supériorité sur le vulgum canonnier, (en langage varié encore appelé Bulgare, tête plate etc…) et de retrouver mon voisin de bannette à l’école des mousses, ce bon vieux Penarguer, qui était lui électricien.

 

Je m’arrête quelques instant sur cette équipe Tourelles, mon nouveau chef avait un certain amour des traditions de la vieille marine, et considérait par là  que son rôle bienveillant  consistait à déléguer sur la cheville ouvrière de toute bonne équipe : le Chouf… Mais là il faut préciser que ledit Chouf, mon vieux pote B… était assez particulier lui aussi, il venait du LAFAYETTE, lequel était bien connu pour sa nombreuse artillerie… à base de 40, et depuis qu’il avait quitté le BE, les quelques rudiments de réglage des coffrets de télécommandes type B et A en vigueur au 127, lui avaient laissé un souvenir un peu vague, enfin muni du carnet de schémas électriques des tourelles, j’avais de quoi méditer pendant le week-end. (Pensum fourni par mon bon patron le Maître Guermeur seigneur des lieux mythiques qu’étaient pour moi le PC de 127… Que j’aurais le temps de connaître, mon poste de combat se trouvant au dit PC, comme servant d’ IAT (Indicateur artillerie de télémétrie… en clair le radar de poursuite porté par le télépointeur … ) Nous y reviendrons …

Voilà le décor est planté…

 

Il faut préciser que revenait à l’équipe tourelles le Télépointeur, La désignation d’objectif (PDO, PVA etc ...et que nous étaient rattachées les liaisons par TAG de l’artillerie, domaine de mon vieux copain Ayache QM 2, doux poète de la téléphonie…qui  avait découvert une méthode radicale de simplification et d’amélioration des performances desdits téléphones en supprimant la capacité qui se trouvait dans le plastron … Chevalier du fer à souder et du tinol, il passait son temps au PC à rallonger les fils desdits téléphones, ayant constaté la quasi impossibilité de convaincre les canonniers et veilleurs de la passerelle que les dits fils n’étaient pas élastiques… Bien évidemment, à partir du bienveillant article 22 (démerde toi comme tu peux !!!!) nous avions fort heureusement un volant appréciable de téléphones en rab !!! Source d’inventaires répétés entre les maîtres chargés Elarm et Trans …et de non moins homériques coups de gueule !!!

 

Premières sorties, croisières etc… le mousse s’aguerrit et devient la cheville ouvrière des tourelles, le Chouf considérant que mes capacités techniques méritaient bien la très large autonomie qu’il m’accordait…pendant qu’il méditait sur l’avenir de la marine en compagnie du chef, devant une bière… (Ils étaient pas chiens y m’invitaient avant le dégagé !!!)

C’était une époque où nous n’économisions pas trop les munitions et rares étaient les semaines à la mer sans tir…

 

L’entraînement opérationnel impliquait que nous pratiquions toutes les formes de notre « art » !

C’est ainsi qu’un beau jour nous voilà,, entrain de pratiquer un tir BF (But Flottant) de nuit, le brave remorqueur dont j’ai malheureusement perdu le nom (peut-être l’Hippopotame ?) se trouve remorquant la cible et fait route tranquillement…

Poste de combat… but reconnu… j’accroche le deuxième pip sur le scope (çà va de soi.. le remorqueur devant, le but derrière, enfin bref première passe … en garde surface, feu !!! réglages… accord radio, latéral, le CPC LV M… à gauche 50 plus loin 100, Bon en direction bon en distance pour un tir d’efficacité commencez le feu, feu continu…

PC de passerelle cessez le feu hurlement… liaison phonie avec le remorqueur, nous avons un projectile dans la cheminée, s’ensuivent un tas de nom d’oiseau, « je largue la cible démerdez-vous !!! »

S’ensuivit un débriefing pas piqué des vers !!!

 

Autre variante Tir contre Terre, truc amusant avec point à viser auxiliaire, bref le pied… le but un impossible caillou à proximité de Toulon, inspection préliminaire du dit tas de caillou, RAS, en avant nous autres, coups de réglages, ok but, c’est parti quand…. Cessez le feu !!

Quoi qu’on a encore fait !!! Y’a pas de remorqueur là ! Non c’étaient des pékins non détectés qu’étaient venus faire du naturisme et que personne n’avait vu !!! ils avaient eu chaud les lascars car après c’était des bordées de fusant !!! (Un pelot de 127 dépotant à 30m couvre en gros un demi hectare d’éclats…)

 

Il va s’en dire que l’essentiel de l’entraînement était orienté vers le tir CA, et c’est là que çà se corse, il y avait plusieurs variantes de l’exercice, comme dit auparavant tir sur manche remorquée,   tir décalé...

 

C’est ainsi qu’un jour un pilote de TBM (décidément !!!) nous annonça flegmatiquement qu’il ne poussait pas la cible mais la remorquait, et que d’ailleurs il nous l’abandonnait, et rentrait chez les gens civilisés, laissant les fous jouer tout seul !!!

 

Le summum fut atteint au cours d’un exercice de tir décalé sur étendard. Déjà que la bête faisait montre de mauvaise volonté à rester en l’air, ce jour mémorable pour des raisons inexpliquées, un 127 dépote curieusement  plus près que prévu de la chaudière de la bête et pan !!! Il éteint la chose !!! Ejection du pilote, qui compte tenu de la vitesse initiale de son fier destrier se retrouve bien loin de notre vue à l’amerrissage !!!

Bien évidemment tout pingouin qu’il fut il n’en restait pas moins marin avant tout, et nous partîmes à 30 nds dans des creux de 8 m pour le retrouver !!! Sérieux décapage de peinture à l’avant chandeliers tordus etc…

Ce que nous fîmes 4 h plus tard, mais l’état de la mer ne permettant pas la mise à l’eau de la moindre baleinière, il fallut le ramasser à la petite cuiller !

Il y avait sur les EE à côté du tangon Td AV une espèce de grand panier, prévu justement pour le ramassage de naufragés, et qui était mis en œuvre à partir du tangon, lequel faisait office de mât de charge dans cette fonction, la pacha fin manœuvrier, obligé de conserver de la vitesse pour rester manoeuvrant, le pilote avait alors le choix entre trois solutions, il passe sous la coque, il va dans les hélices ou on le sort de là… ben il a eu du pot, on l’a ramassé du premier coup !!

Les échos de la conversation ne sont pas parvenus à nos oreilles, mais il parait que cela avait un peu chauffé entre le pingouin et le second !!!

 

Pour en finir avec nos exploits sur ce chapitre, les canons de 20 sur les EE n’étaient jamais à poste et donc ne servaient que rarement, bref il fut décidé au cours d’une sortie après les tirs de l’artillerie principale de faire effectuer deux passes au profit des armements de 20, seule fois où je les ai vus à poste et dernière d’ailleurs !

Donc, pour faire simple, passe radiale (le TBM droit sur nous !!! ce qui impliquait donc un tir à courte distance, normal pour ce calibre, le tireur, pour quelle raison ? nul ne sait, saisi d’un zèle émouvant de peur de rater le but ouvre le feu et balance la rafale de l’hélice à la queue du TBM, et dans son trouble … rate la manche !!! Un triomphe… le pilote grand seigneur (un Cipal), est venu à bord le lendemain ramener un obus de 20 (heureusement que c’étaient des boulets…) retrouvé dans la plaque de blindage de son siège !!!

S’ensuivit une grandiose réception au poste des patrons, s’il n’avait pas été abattu la veille, il repartit complètement cramé !!!

 

C’était franchement un bateau pas triste quand j’y repense, il y avait un tas de vieux canonniers, dont le chef de la tourelle 1 de 127 qui était mon cauchemar… Un soir au poste de combat vers 22 h,

« PC de Tourelle 1 avarie de pointage … »

J’étais ce soir là dispo équipe de dépannage au PC ayant laissé ma place à l’IAT au Chouf DET ARM (Détecteur d’armes, variante exotique des détecteurs…)

Bien évidemment mon bon chef m’expédie illico voir le problème… A vrai dire on se méfiait de la Tourelle une !

De fait après une rapide inspection au poste de chef de tourelle, l’avarie était due au fait que le brave second boum, était un peu allumé, et avait simplement oublié de tourner l’interrupteur de marche pointage, à vrai dire il avait du mal à retrouver ses esprits… j’ai tourné l’interrupteur et mis çà sur le compte d’une saloperie de fusible…

Il ne l’a jamais su et ne s’en rappelait plus  le lendemain. !!!

Il faut dire que l’EM Artillerie à cette époque n’était pas triste, il y avait donc un LV chef de service le LV C… d. M…… ART 1, Le LV M……. ART 2 (un vrai bon !) et L’EV d. B… d. C…. qui lui avait une certaine ancienneté dans le grade pour ne pas dire une ancienneté certaine !!!

 

Les relations entre ART 1, que l’on ne voyait pour ainsi jamais, réputé pour sa distraction, et le dernier notre fameux EV étaient pour le moins folklo, c’est ainsi qu’un jour à la passerelle, à la suite de je ne sais quelle histoire entre eux, notre EV à bout d’argument se retournant vers notre chef de service, lui jeta « monsieur je ne parle pas à la noblesse d’Empire… » Imparable il était lui de vieille noblesse de l’ancien régime !!!

 

Et pour en finir provisoirement avec ce bon vieux TARTU, (je ne parle pas, du Clan fumé dans du papier journal au PC de 57 pendant le poste de veille avec mon Chouf, ce qui avait comme avantage de faire fuir notre bon PM qui n’étalait pas et s’abstenait donc de ses rondes…),

Le triomphe fut quand même atteint mais là, pas par les artilleurs !!

Au mouillage devant St Elme il fut procédé à un exercice de roquette lance amarre à partir du LR ASM de 375 portant des rampes pour les roquettes éclairantes de 90 et accessoirement lance amarres ;

Jour de gloire, notre bosco dans tous ses états, le personnel au poste d’admiration, départ majestueux de la bête, l’amarre se déroulant derrière quand … horreur personne n’avait amarré cette amarre à bord. La roquette finit sa course sur la place de Saint Mandrier !!!

Le modeste QM 2 que j’étais à l’époque ne connaît pas les suites de l’aventure …

 

 

Jean-Claude PINCHON dit Pinpin