Une autre façon de « retourner sa veste »

 

 

Le 1er septembre mil neuf cent quatre vingt…(et quelques  années), je fus affecté dans une escadrille école d’une grande base d’aéronautique navale du sud de la France, base située non loin d’une ville réputée pour sa féria ……

Au sein de cette formation, j’obtins une modeste chaire afin d’inculquer à de futurs élégants volatiles, le principe et le fonctionnement de certaines boites noires embarquées sur les oiseaux mécaniques.

Pour ma part, je venais de terminer six années de porte-avions, plate-forme sur laquelle ne séjournent habituellement, que de furieux coursiers ailés.

Un peu désemparé, dans ce haut sanctuaire de la patrouille maritime, je fis contre mauvaise fortune, bon cœur, et j’essayais tant bien que mal de m’adapter à cette nouvelle situation.

Il advint que venant tout juste d’intégrer cette nouvelle affectation, j’appris avec une très grande douleur (mais alors une très grande…) que le grand chef de la dite patrouille maritime (ALPATMAR), venait rendre une visite de courtoisie, et que nous lui serions présenté officiellement, chacun à tour de rôle…..

  

Un peu terrorisé par cette nouvelle, et jugeant que ma tenue de gala était légèrement défraîchie par les embruns, je décidais donc de porter ma veste au tailleur de la base, afin que ce dernier lui fasse subir un « échange standard » au niveau des galons.

  

Un matin donc, muni du Saint Viatique, juste après l’appel de 08 h, je pris mon courage à deux mains et me rendis dans l’atelier de ce digne homme et lui confiais la dite  veste. Puis je revins à l’escadrille.

 

M’apercevant alors, le superviseur des instructeurs me dit :

- « Ben, d’où sors-tu ? »  

- Moi : « De chez le tailleur faire changer mes galons ».

- Lui : « C’est cher pour faire cette rénovation ? »

- Moi : « J’en sais rien, ce sera décompté sur mon livret d’habillement »

Sérieux, il me dit alors :

- « Mais pourquoi tu ne me l’as pas dit avant, tu ne te serais pas fait arnaqué….Tu ne le sais pas qu’ici c’est la grosse magouille entre les divers services administratifs ? Ils se partagent le pactole entre eux……Cette opération va te coûter 3 à 4 fois plus cher que si tu l’avais fait faire dans le civil, et tu ne le sauras pas, car ça ne sera pas visible en fin d’année dans l’embrouillamini du parfait paiement !»

 

Perplexe, je fis retour en mon étude et l’un de mes collègues me dit alors en catimini :

- Ne l’écoutes surtout pas, c’est son petit jeu habituel de raconter tout au long de la journée, des bobards  et sornettes en tous genres…..

 

L’idée d’organiser des « représailles » prit alors forme dans ma tête…...

 

Je revins donc illico chez le tailleur et lui dis : « Il y a  « X » qui a essayé de me faire prendre des vessies pour des lanternes. Dans une heure tu lui téléphoneras, en lui annonçant que tu vas porter plainte contre lui et moi … que je suis entré sans frapper , que j’ai tout renversé dans ton atelier, que je t’ai rossé d’importance, ayant appris par le dit « X » certaines magouilles familières de ce lieu...».

 

En riant il me dit : « OK, ne te fais pas de soucis »...

 

De ce pas  je me rendis chez le Capitaine d’armes de l’escadrille (étant école, elle en possédait un) et lui racontais le même scénario…..Il me dit : Pas de bile, je vais mettre dans le coup le pacha en second...

 

En finale enfin, je me rendis à l’infirmerie où le responsable des thermomètres et  des divers impedimenta, mis également dans le secret, me badigeonna le bras de teinture d’iode et me fis un énorme pansement avec les bandes appropriées...

 

Et c’est alors que je revins à l’escadrille, dans le bureau des instructeurs, les cheveux en bataille, la cravate de travers et mon énorme bandeau à la main...

 

Me voyant arriver ainsi dépenaillé, le dénommé « X » me dit :

     - « Mais qu’est ce qu’il t’arrives ? »

   - Moi : «  C’est pas sur cette base de fonctionnaires que je vais commencer à me faire emmerder !!!! Moi monsieur, j’arrive des Porte-avions et à bord on ne s’en laisse pas compter…. Le tailleur de la base peut t’en causer, lui !!!!! D’ailleurs je me suis foulé le poignet sur cet enfoiré !!! »

- « X » :Tu déconnes ou quoi ?

- Moi : Non ! Je cogne !

 

Blême, « X » attrapa nerveusement le téléphone et carillonna chez le tailleur……Ce dernier lui expliqua alors avec forces détails, que si dans cette escadrille il y avait des fêlés, lui il n’était pas responsable de cette situation et qu’il avait déjà porté le « pet », par les voies règlementaires, l’histoire  risquant de s’acheminer très loin et très haut……

 

Sur ces entrefaites, le pacha en second de l’escadrille accompagné du capitaine d’armes, pénétra à son tour dans le bureau, et interpellant « X » lui dit :

     - « Qu’est ce que j’apprends ? Il y a le maître tailleur qui porte plainte contre vous deux ? Et bien, quelle bonne renommée pour l’escadrille ! Et ceci, juste avant l’inspection d’ALPATMAR  !  Vous êtes tous les deux, consignés sur la base en attendant de « passer au trapèze » …… (en le désignant) :  Pour avoir incité à la provocation, ça la fout vraiment mal….. puis se tournant ensuite vers moi avec un clin d’oeil : Vous, pour ne pas être maître de vos réactions ….. »

 

Un silence pesant, et cuisant s’ensuivit aussitôt !

 

Inutile de vous dépeindre le moral de « X » durant le restant de la journée …. Moral, du reste, que tout le restant du personnel continua à entretenir avec une certaine passion et une très grande ferveur…..

Eh oui ! l’horizon se couvrait de gros nuages noirs et le mirage de l’obtention du bâton de maréchal (2 ancres croisées au dessus des galons), s’effaçait peu à peu, pour certain….. car si pour lui la faute était bénigne vis-à-vis de la mienne, il en resterait néanmoins certaines traces indélébiles…..

 

La marmite était sur le feu, et cuisait…  

« X » plongé dans ses noires pensées, me tournait ostensiblement le dos, ne m’adressait plus la parole, et entretenait des messes basses avec quelques faux compatissants !

 

Ce n’est qu’à 16 heures 30, à l’heure du dégagé, que je défis devant lui ma bande « Velpeau », lui fit bonjour avec la main, et avec le restant des instructeurs nous partîmes d’un énorme éclat de  rire !!!

 

De blanc qu’il était, « X » devint tout rouge, puis redevenu rayonnant, s’écria :

    - «Oh la vache !!!!  J’avoue que tu m’as bien eu…. »

 

Cette histoire se conclut alors comme il se devait……..AU   BAR  !!!!

 

Néanmoins, si ce jour là, tout se termina dans la bonne humeur, il advint que quelques temps plus tard, il y eut une certaine suite :

 

Un haut responsable de la faculté me convoqua  un matin frileux de décembre, en me disant à peu près ceci :

    - « Je me suis aperçu que aviez du temps libre (il songeait certainement à l’anecdote relatée ci-dessus) et que les quelques heures destinées à l’instruction du personnel, vous laissent beaucoup de loisirs. J’ai donc jugé de vous confier une charge supplémentaire. En effet le Cipal « Y » va débarquer, et il nous laisse dans l’embarras… Jugez donc : la fonction qu’il exerce – maître chargé du mobilier et menus objets de l’escadrille – va rester vacante ! J’ai donc pensé que vous aviez le profil et les compétences nécessaires afin de prendre sa suite…..tout en gardant vos fonctions actuelles »

 

Très honoré de son offre, je le remerciais vivement….. Néanmoins, je ne me sentais pas à la hauteur pour assurer cette grande responsabilité (certains me comprendront…) . C’est pour cela que quelques jours plus tard, je me rendis en catimini aux divers services intéressés où je me mis à postuler pour un congé de longue maladie ! Cette demande fut finalement acceptée, et six mois plus tard, je fus hospitalisé et rendu invalide!

C’est depuis que je peux boire tranquillement mon verre au bar des choufs .

 

 

Riton